Réflexion critique sur le cours magistral
Philosophie de l'éducation
Le cours magistral est-il une méthode d'apprentissage pertinente ?
Situation
Le cours magistral (CM) est une présentation orale, un exposé devant un groupe d'apprenants, dans un lieu particulier.
Exemple : un présentateur devant des étudiants dans un amphithéâtre.
En général, le présentateur est un enseignant.
Pendant le CM, il est fortement conseillé que les apprenants prennent des notes.
Le CM se distingue de la conférence car :
- il est inscrit dans la durée (cours, ensemble de cours, formation...) alors que la conférence est ponctuelle,
- il est une exposition de contenus d'apprentissages alors que la conférence est plus proche de la discussion, du débat d'idées.
Ils sont similaires en tant que « leçon » : enseignement par un maître.
Le CM peut reprendre des éléments de la conférence : débat, questions, présentation critique, etc. Est-ce alors encore un CM ?
Questions
La situation du CM est-elle pertinente ? Efficace ? À quoi sert exactement cette situation ?
De l'enseignant 1
Si la présentation repose sur la lecture d’un texte que l'enseignant a préalablement préparé et qu'il n'y a pas d'improvisation, alors cette présentation orale ne requiert pas que l'enseignant soit un être humain.
Alors, l'enseignant peut être un robot.
Des apprenants
Si le CM a pour but que les apprenants acquièrent ce qui est présenté tel que présenté, est-il pertinent que prendre des notes ne soit pas automatisé ?
Alors, ceux qui notent peuvent être des robots.
Quelle est la pertinence de prendre des notes en salle particulière si le texte de la présentation peut être distribué aux apprenants et que les apprenants peuvent en prendre des notes où, quand, comme ils le veulent, s'ils le veulent, etc. ?
Du lieu
Si l'enseignant est un robot, est-il nécessaire d'avoir une présentation en salle particulière ?
En quoi est-il pertinent que des apprenants se regroupent dans une salle pour assister au CM, écouter, rester en silence et ne pas intervenir ?
En quoi est-il pertinent qu’un présentateur robot récite un texte à d'autres robots qui prennent des notes, voire transcrivent mot à mot ?
De l'enseigant 2
Si la présentation repose sur la lecture d’un texte que l'enseignant a préalablement préparé et qu'il n'y a pas d'improvisation, alors cette présentation requiert-elle de venir dans une salle particulière ?
Si non, l'enseignant peut effectuer une vidéo de sa présentation et la fournir aux apprenants, voire la publier en ligne, c'est-à-dire ouvrir ses connaissances au public (qui a néanmoins nécessairement besoin d'une connexion internet et d'un équipement informatique).
Conséquence 1 : les apprenants peuvent apprendre où ils veulent, quand ils veulent, comme ils veulent.
Exemple : apprendre dans un parc, à minuit, en transcrivant mot pour mot les propos.
Conséquence 2 : il n'est pas nécessaire de construire une salle, voire un bâtiment, pour la présentation. Mais il peut être utile de construire une salle pour que l'enseignant puisse établir sa vidéo de présentation. Ou bien, cela n’est pas nécessaire si l'enseignant établit cela là où il le souhaite, quand il le souhaite, comme il le souhaite, avec un matériel fourni ou de son choix.
Exemple : chez lui avec son terminal préféré.
Objection
Or, si le CM fait l’objet d'un robot ou d'une vidéo, et qu'il ne nécessite pas de salle particulière, comment les apprenants peuvent-ils poser d'éventuelles questions à l'enseignant ?
Réponse
Si le CM n’est pas une improvisation et que l'enseignant pose un temps de dialogue après la présentation, c'est peut-être parce que les questions au cours de la présentation sont perçues comme gênant la présentation.
Dans le temps de dialogue, l'enseignant répond à chaque question. Mais ce temps est limité (du fait du planning de chacun) et certaines questions peuvent ne pas être traitées ; elles sont donc reportées.
Si l'enseignant est un robot, il doit avoir la fonction de pouvoir répondre à des questions. Ou bien, les questions ne lui sont pas posées à lui mais à l'enseignant qui a établi le texte de la présentation. L'enseignant répond alors ultérieurement aux questions ; les réponses ne sont donc pas immédiates.
Si la présentation est une vidéo, l'enseignant doit pouvoir répondre aux questions. Or, l'enseignant n'est pas en relation immédiate avec les apprenants. Donc, l'enseignant répond aux questions ultérieurement.
Les échanges peuvent être effectués par e-mail, ou sous forme de commentaire sur la page de la vidéo, ou lors de rencontres ou lors de travaux pratiques (TP).
Dans tous les cas, des questions peuvent ne pas être posées.
Dans tous les cas, il y a un risque de report des questions à une date ultérieure.
Dans un seul cas, l'enseignant répond immédiatement aux questions : quand le CM n’est pas purement un CM ou quand il a cessé d’être un CM.
Proposition
L'enseignement de type CM traditionnel est jugé non pertinent.
Si l'enseignement « en présence » est pertinent, quel serait cette méthode d'enseignement ?
Il serait une séance de travaux pratiques (TP), moment de travail en commun, de création, d'exercice, de débat, d'articulation des contenus, de méthode, de jeu, de socialité, de partage, de désir, de relation, de plaisir, de faire, d'agir, d'étonnement, d'affection, de connaissance, d'expérience, d'individualisation, d'expression personnelle, politique, etc.
L'enseignant ne se réduit plus à une répétition mécanique (une vidéo produite n'a pas à être reproduite mais seulement remplacée ou modifiée).
Exemple : la présentation est réalisée par chapitres, chaque chapitre pouvant être modifié indépendamment des autres. L'enseignant modifie la partie en question ou toute la présentation.
L'enseignant n'est pas un distributeur automatique de savoir mais est co-constructeur de connaissances avec l'apprenant.
Le TP n'est pas un « cours » au flux monotone mais un moment d'activité en commun, ou le silence docile n'est pas nécessairement souhaité.
Il peut y avoir en TP des moments de type magistral (exposé, définition...) quand cela s'avère nécessaire.
Objection
Qu'en est-il du suivi des étudiants ? L'enseignant peut avoir à modifier son CM en fonction des particularités des apprenants. Donc, le CM est toujours à construire et ce en situation.
Réponse
Cela sous-entend qu'une relation a déjà eu lieu entre enseignant et apprenants, que le CM est inscrit dans une telle relation.
Cela sous-entend que le suivi s'effectue en CM, ce qui est contradictoire car ce n’est pas là le moment d'un tel suivi.
Le CM est pensé comme un moment mécanique et automatique. En faire un lieu d'improvisation, d'échange, de soutien particulier, etc. c'est modifier la définition du CM.
Dans le présent cadre, le CM se réduit à la présentation d’un texte (par robot ou vidéo). En fonction des particularités (erreurs, améliorations pédagogiques, meilleure explicitation, etc.), l'enseignant est libre de modifier ou compléter sa présentation.
Du caractère humain
On peut dire que le CM, malgré son aspect automatisé, est nécessaire pour son caractère « humain ». Or, quel est ce caractère « humain » ?
Si l'aspect automatisé du CM fait partie du caractère « humain » du CM, quel en est le critère d' « humanité » ?
Le caractère d' « humanité » se trouvant dans toute activité humaine, le CM a un caractère « humain » quelle que soit sa définition et ce au même titre que n’importe quelle autre activité humaine. Cet argument ne dit rien de la pertinence de l'activité. Peut-on dire qu'une chose est pertinente pour l'humain parce qu'humaine ?
Exemples : la guerre, la torture, l'inhumanité, etc.
Si le CM est pertinent pour l'humain parce qu'humain, alors il vaut bien d'être remplacé par autre chose qui sera pertinent pour l'humain parce qu'humain...
De l'improvisation
On peut dire que le CM est conservé pour le caractère d'improvisation du présentateur. Or, en quoi cette improvisation est-elle un critère de pertinence, d’efficacité, du CM ?
L'improvisation donne-t-elle le caractère « humain » du CM (cf. plus haut) ?
Alors, quelle est « l'humanité » dans l'improvisation ? En quoi est-ce « humain » d’assister à un spectacle d'improvisation dont on prend des notes en silence ? Qu'y a-t-il à apprécier de l'improvisation quand le CM n'a pas pour objectif de faire apprécier l'improvisation mais de fournir des contenus d'apprentissage ? Quid de l'appréciation de l'improvisation par des apprenants ignorant une telle appréciation ?
Or, dans un CM, l'improvisation peut être source d’erreur, de digressions. En quoi ces éléments seraient-ils pertinents ?
Présupposés
Quels sont les présupposés du CM ?
Être présent en salle et écouter un être humain lire un texte préalablement établi recèlerait quelque chose de mystérieux, de social, de bon, qui participe de et à l'apprentissage, à la vie sociale.
Le CM comme présentation orale d'un texte préétabli, sans improvisation ni dialogue, vécu dans la prise de notes silencieuse et mécanique possèderait une dimension utile d'apprentissage.
Prendre des notes, ce serait apprendre, agir.
La docilité forme l'homme et le citoyen.
Le dialogue, l'action, l'expérience, ne conduisent à aucune connaissance.
Objection aux présupposés
Or, tout le caractère bénéfique prétendu du CM peut être manifeste en TP, concentré en TP, émancipé du silence de la prise de notes et de l'éventuel caractère dominateur, jugeant, du CM (apprentissages latéraux, domestication, dressage, etc.).
Dire que prendre des notes, c'est apprendre et agir, c'est oublier que l'activité ne porte pas sur le contenu mais sur la transcription de ce contenu dans une forme compréhensible par l'apprenant. Le risque d’erreur y est très grand, l'apprenant passant son temps alors à apprendre des erreurs et à les corriger (si possible), ce qui est corvéique, anxiogène, voire démoralisant. Cette transcription « pédagogique » ou « didactique » peut être pensée et effectuée par l'enseignant qui est réputé la source fiable et efficace de l'enseignement.
Conséquences
L'apprentissage peut ne plus être pensé selon l'idée de « gavage » ou « remplissage » ; il peut être pensé comme co-construction de connaissances par l'enseignant et l'apprenant, avec une dimension politique, d'individualisation, affective, de développement de l'autonomie.
« Dimension politique » est à prendre ici ainsi : du grec πολιτικός, de citoyen, qui concerne les citoyens, populaire, qui concerne l'État, public (CNRTL).
Apprendre relève de la vie et non de la « scolastique ».
Pour aller plus loin
Deux liens à propos de la méthode d'apprentissage selon Célestin Freinet.
www.alhomepage.com/articles/2017-06-30-reflexion-critique-sur-le-cours-magistral
Par Alexandre Venet, le 30-06-2017