Icarus, le jeu-concept
Idée d'expérience
À propos de mon jeu-vidéo Icarus réalisé avec Project Spark, de ses multiples interprétations et usages.
Introduction
Réalisé avec Project Spark, Icarus n’est pas un jeu à proprement parler même s'il reprend quelques principes de base : un utilisateur, quelque chose à faire, une progression...
Icarus est une expérience audio-visuelle et interactive. Je vous conseille de ne pas y jouer si vous êtes épileptique.
Vous trouverez ici quelques réflexions concernant la portée et les usages qui peuvent être faits de ce projet.
Présentation
Le graphisme est directement inspiré du film 2001 L'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick.
Pour les connaisseurs : techniquement, le Kode n'est pas complexe, le jeu n'utilise que très peu d'objets différents, le terrain n'a pas été modifié et n'apparaît pas à l'écran.
Le jeu possède trois environnements de couleur en demi-teintes. Le programme sélectionne aléatoirement un environnement de départ.
La caméra avance inexorablement vers l'avant, dans un traveling de lumières, de rubans et d'étoiles. Parfois ces effets donnent l'impression d'un sol et d'un ciel. Ou bien est-ce l'intérieur d'un tunnel, une voie d’autoroute, etc.
L'utilisateur peut déplacer la caméra de gauche à droite. Aucune limite de mouvement.
Ponctuellement, d'étranges amas de tentacules, noirs et organiques, passent devant la caméra. L'utilisateur peut décider de les éviter ou bien de les percuter. Dans ce dernier cas, le choc est alors représenté par des perturbations de caméra et de champ visuel. Après quoi, l'environnement a changé de couleur et le traveling se poursuit comme au début.
Enfin, l'utilisateur peut quitter le jeu à tout moment en appuyant sur une touche (du clavier ou de la manette). Un autre effet de caméra certifie que la commande est prise en compte. De petites particules de vitesse, comme une pluie, apparaissent.
Le traveling va ensuite continuer pendant quelques secondes au cours desquelles les effets de lumière vont diminuer jusqu'à s'éteindre. Et c'est la fin de la partie.
La fuite en avant
Ce projet exploite le principe de la « fuite en avant ». C'est-à-dire que l'utilisateur-spectateur doit toujours avoir l'impression d'avancer, d'aller vers.
Bon nombre de jeux-vidéo sont construits sur ce modèle. La fuite en avant donne cette impression que l'aventure se déroule d’elle-même, une impression d'imminence des évènements. Revenir en arrière, s'arrêter, voilà qui peut nuire au rythme du jeu.
De plus, la fuite en avant est toujours annonciatrice de surprises potentielles. Étant donné que la plupart des jeux (mais aussi des films, des livres, bref des histoires) sont construits sur l'idée qu’il faut aboutir à un « climax » de l'action, la fuite en avant devient grisante car l’utilisateur (ou spectateur, ou lecteur) sait qu'il progresse vers un climax. Ce principe sert lui-même de base au suspens.
Il est rare que la personne se force à supporter la situation phobogène et, par là-même, à être confrontée à une intense anxiété. Ces conduites étant souvent temporaires et inefficaces, le patient choisit plutôt l'évitement ou la réassurance.
L'utilisateur stressé projette son désir de fuir dans l'objet qui l'occupe : un livre, un film, un jeu. Il existe une grande quantité de pratiques pour réduire le stress comme l'activité physique ou la relaxation.
Icarus peut être utilisé comme support de projection au stress. Si l'utilisateur est stressé avant de jouer, ce type de jeu peut être utile pour symboliser une fuite en avant.
Les effets de lumière et de vitesse participent à cette impression. Les problèmes, les difficultés, les obsessions sont illustrés par les bulbes organiques, amas de tentacules plus ou moins rapides. Ils perturbent l'ensemble visuel : ils sont organiques alors que le reste de l'image se compose de droites et de faisceaux lumineux.
L'utilisateur stressé peut trouver dans ces monstres une symbolique des objets avec lesquels il lutte et qu'il voudrait, justement, fuir.
Ainsi, à jouer quelques minutes, ce type d'expérience peut réduire le stress de l'utilisateur par « proposition symbolique ». Évidemment, c'est une hypothèse qui réclamerait tests et analyses neuro-scientifiques mais je reste persuadé de l'influence apaisante exercée sur l'utilisateur... à moins que le jeu lui-même ne stresse ce dernier, auquel cas mieux vaut arrêter immédiatement la partie !
Rêve
Quittons l'idée de stress et revenons à notre idée de « fuite en avant » initiale : aller de l'avant, aller vers.
Cette idée nous amène (elle aussi en avant) au rêve, éternellement mouvant, fluctuant. Rares sont les rêves « solides » où un mur « reste » un mur, bien droit, rigide.
La fuite en avant dans un graphisme abstrait, voire psychédélique, peut inviter l'utilisateur à un « voyage intérieur ». Nous sommes alors dans un contexte d'hypnose, de lâcher-prise, de rêve éveillé.
Ces images fascinantes forcent l'attention sans agresser pour autant. Elles sont prédictibles (les faisceaux ont tous à peu près le même comportement), ce qui détend la vigilance et peut inviter à se relâcher. Quelques effets de lumière blanche accompagnés de sons cristallins ponctuent le parcours : des curiosités agréables tout aussi prédictibles.
Dans ce contexte, les amas tentaculaires symbolisent les angoisses du rêveur. Personnellement, je me sens toujours un peu mal à l'aise quand je vois ces bulbes organiques s'approcher trop près de la caméra. Les questions, de psychologie, que je dois alors me poser sont : que symbolisent ces choses dont j'ai peur, de quoi ai-je peur ?
Icarus m'offre alors la possibilité d'expérimenter un « état » de rêve tout en étant conscient de mes sensations. Nous sommes ici assez proches des réminiscences effectuées en EMDR : le patient répète le comportement oculaire lors du sommeil, ce qui facilite le rappel de souvenirs enfouis et leur conscientisation. L'hypnose en parallèle.
Si l'utilisateur percute un amas organique, la caméra et le champ de vision sont perturbés pendant un court instant. Après quoi, l'environnement de couleur change. Interprétations possibles : traverser nos peurs peut nous transformer, nous amener à découvrir que derrière elles se cache du nouveau.
Point focal
Quittons l'aspect onirique d'Icarus et posons-nous à présent dans le contexte de l'attention.
Icarus peut aider à développer notre capacité de focalisation ; certes, n'oubliez pas de faire des pauses répétées lorsque vous vous trouvez devant un écran !
Cette focalisation, l'attention, peuvent être exploitées, détournées, à notre époque de publicités massives, de sollicitations diverses et insistantes.
Dans le cas d'une trop grande dispersion et si cette dernière désoriente, les projets comme Icarus peuvent aider à se « recentrer », à lentement se focaliser sur un point unique (le point de fuite) tout en évitant les perturbations. Les amas organiques symbolisent alors les sollicitations diverses et nuisibles. Cette interprétation peut se cumuler avec celle du stress.
Plaisir du flux
En dehors de tout ce qui précède, Icarus peut être utilisé simplement pour ce que j'appellerais le « plaisir du flux » : c’est-à-dire se laisser bercer par le mouvement, le rythme, les effets. L'équivalent d’un bain de mer où les vagues nous transportent à leur gré. En plus tonique : le surf !
Le jeu nous amène quoi qu'il arrive, et en toute sécurité, au même endroit : plus loin. Et ce plus loin ressemble à l'ici et maintenant. Voilà qui peut être très reposant.
Méditation
Une approche méditative d'Icarus pourrait être développée. Il conviendrait alors de supprimer les amas tentaculaires qui gêneraient le travail de l'utilisateur. Les changements de couleur devraient également être ralentis, fluidifiés jusqu'à l'imperceptible. Le méditant pourrait alors exercer son attention sans être perturbé par de nouveaux éléments.
Beauté
Vous pouvez tirer un immense plaisir à jouer à Icarus simplement pour la beauté des effets. Tout ce qui précède peut concourir à donner cette impression de « densité » artistique : si je ne distingue pas les dimensions du stress, de l'onirique ou du dépassement de soi, je peux toutefois les ressentir comme liées, s'appelant les unes les autres, mêlées dans ce traveling harmonieux. Cette impression peut être agréable, stimulante voire vivifiante car l'oeuvre « résonne » chez l'utilisateur de multiples façons.
Bien sûr, vous pouvez également faire l'expérience de la laideur si le jeu vous rebute...
L'ennui
Nous le savons, l'ennui se glisse partout. Tel livre m’est fascinant ? Il peut ne pas l'être pour vous.
Si les charmes visuels vous laissent de marbre, peut-être Icarus vous fera-t-il expérimenter l'ennui. Mais à la différence de cet ennui que l'on trouverait dans les programmes de télévision, ou dans le flux incessant des messages dans les réseaux sociaux, Icarus guide votre ennui, le cerne et l'oriente. Cela peut être une façon de passer le temps, de goûter cet instant étrange où rien ne s'ajoute à rien. Ça ou autre chose, finalement...
Icare
Au fait, pourquoi le jeu est-il titré Icarus ? C'est une référence au mythe d'Icare, d'origine crétoise et transcrite par Ovide dans les Métamorphoses.
Dédale, grand artisan mais aussi grand traître, a mis le roi Minos en colère. L'artisan est jeté avec son fils Icare dans le Labyrinthe, vaste souterrain aux innombrables couloirs.
Pour sortir de cette prison, Dédale construit avec de la cire et des plumes une paire d'ailes pour son fils et pour lui-même.
Il avertit Icare de ne pas voler trop haut car la chaleur risquerait de faire fondre la cire mais aussi de ne pas voler trop près de la mer car l'humidité, l'eau, alourdiraient les plumes.
Leur évasion est un succès. Mais peu de temps après, Icare est grisé par sa nouvelle puissance et s'élève toujours plus haut vers le soleil. La cire se met à fondre. Icare tombe dans la mer et meurt.
Icare symbolise cette aspiration à s'élever dans les airs et voler comme un oiseau : le dépassement des choses terrestres vers le divin au risque d'affronter notre propre limite.
Ce qui m'a intéressé chez Icare, c'est évidemment la symbolique de cet être humain attiré par le mythique plus loin.
Au-delà
À vous de jouer ! Et faites-moi part de votre expérience.
Merci et à bientôt !
www.alhomepage.com/articles/2015-05-01-icarus-le-jeu-concept
Par Alexandre Venet, le 01-05-2015